Le futur centre de conservation du Louvre, prévu en 2019 à Liévin, pourrait en partie servir de refuge aux œuvres des patrimoines syrien et irakien menacées. Mais la France ayant coupé tout contact avec les autorités syriennes, comment ce sauvetage patrimonial s’organiserait-il? Quelles seraient les conditions de leur retour au pays ? Bientôt des œuvres irakiennes et syriennes à l’abri de la guerre dans le nord de la France? C’est en tout cas la volonté de François Hollande, qui a annoncé que le futur centre de conservation du Louvre de Liévin, qui doit ouvrir ses portes en 2019, pourrait connaître « une autre vocation hélas liée aux événements, aux drames, aux tragédies que nous pouvons connaître dans le monde ». La décision finale de consacrer une partie des 20 000 m² — de cette annexe du Louvre à la préservation des patrimoines syrien et irakien aujourd’hui en danger devrait être prise au début du mois de décembre, à l’occasion d’une conférence internationale sur la préservation du patrimoine en péril à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis. Au-delà de l’indignation que l’annonce a suscitée sur les réseaux sociaux, où des twittos ont mis en parallèle les réserves des autorités face aux réfugiés et la volonté affichée de secourir des œuvres culturelles, on peut se poser la question de l’existence d’arrière-pensées politiques à cette main tendue. En effet, un tel sauvetage implique de restituer les œuvres, c’est même une « obligation morale » pour Gérard Bapt, président du groupe d’amitié France — Syrie à l’Assemblée nationale. Le député socialiste s’étonne toutefois de cette décision, la France se refusant à tout contact — même les plus élémentaires — avec les autorités syriennes. Une attitude qui pose la question de la provenance de ces œuvres: « La contradiction, c’est que pour le moment l’État français ne veut pas avoir de relations, y compris sur le plan culturel, avec l’État syrien et donc proposer de conserver des œuvres d’origine syrienne, cela voudrait dire que — pour le moment en tout cas — elles ne viendraient que de régions occupées par des groupes salafistes ou djihadistes, ce qui me semble paradoxal et difficile, car dans ces régions, il est à craindre que ce qui était transportable l’ait déjà été à des fins de vente. » Pour Céline Michel, chercheuse au laboratoire Archéologies et sciences de l’Antiquité (Arscan) du CNRS, il est cependant peu probable que les pays concernés recourent à cette solution, ceux-ci sont en effet prêts à tout pour éviter de voir les œuvres qui constituent leur patrimoine quitter le territoire national, quitte à racheter aux contrebandiers certaines œuvres pillées: « En Irak par exemple, le gouvernement a débloqué des fonds spéciaux pour les musées localisés sur le territoire irakien, pour qu’ils puissent racheter aux vendeurs — sous garantie d’anonymat — des collections pour éviter qu’elles sortent du pays. » S’il s’agit là du cas de la contrebande, l’un des fléaux contre lequel la proposition française est censée protéger les œuvres, Céline Michel — également Présidente de l’association internationale des assyriologues — semble toutefois douter de la nécessité d’évacuer les œuvres historiques de ces pays. La chercheuse souligne de plus le travail accompli par les conservateurs et les scientifiques, qui ne sont pas restés spectateurs face au péril qui guettait le patrimoine de leur pays. « Les conservateurs, les scientifiques, aussi bien en Syrie qu’en Irak on fait des miracles. Si vous regardez ce qui s’est passé au musée de Mossoul, l’essentiel des pièces [détruites] était des moulages: l’essentiel avait été rapatrié et mis à l’abri à Bagdad juste après 2003 » une mobilisation également observée en Syrie « Tout ce qui était transportable a été mis à l’abri, les conservateurs ont travaillés jour et nuit pour protéger ce qu’ils pouvaient protéger. » Le député Gérard Bapt revient lui aussi sur les efforts entrepris par les États pour préserver leur patrimoine, citant le cas de la Syrie où il s’est rendu: « L’administration des antiquités et des musées continue à fonctionner notamment sous la direction de Mahmoud Abdul Karim, elle est tout à fait apte à l’heure actuelle à protéger ses œuvres, elle l’a fait d’ailleurs depuis plusieurs années. » Si Céline Michel demeure convaincue de l’honnêteté de la proposition française — similaire à une proposition suisse de 2 015 — rien ne garantit aujourd’hui à ces pays le retour de leurs œuvres. Un problème des plus épineux qui se pose déjà pour l’Institut du Monde Arabe. Si ce dernier n’accueille pas d’œuvres dans le cadre de leur préservation, l’organisme accueille depuis fin 2011 23 pièces archéologiques prêtées par la Direction générale des Antiquités et des Musées de Syrie (DGAM). Ce dépôt, nous assure Eric Delpont, Directeur du musée de l’Institut du monde arabe, est régi par une convention et protégé par un certificat d’insaisissabilité. La convention précise d’ailleurs que les pièces ne peuvent quitter l’Institut du Monde Arabe que pour rentrer dans leur pays d’origine. Parmi les pièces, une statue de Mari, un site de fouilles françaises en Syrie. Quand on avait célébré les 80 ans de ce chantier archéologique, l’Institut avait dû faire venir à lui l’exposition faute de pouvoir déplacer la fameuse statue. Et le retour définitif de ce lot d’œuvres? « Pour sa restitution, en concertation avec la DGAM, nous étudions une solution avec l’UNESCO. » conclut Eric Delpont. Une manière de dire que la question reste ouverte.

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