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Étrangement, jamais les parents n’ont fait l’objet d’autant de sollicitude de la part des médias… et jamais la question de la pédagogie familiale n’a été aussi délaissée. On peut, en effet, trouver un peu partout des conseils en tous genres sur la manière d’élever son enfant, de décorer sa chambre, de le nourrir, de le soigner, de l’aider dans son travail scolaire, de choisir pour lui les loisirs les plus adaptés, de contrôler son usage des écrans, de gérer sa puberté et sa découverte de la sexualité, d’accompagner son orientation professionnelle et même son installation dans « la vie active »… mais rien -ou presque- sur le sens qu’il peut donner à sa vie et son engagement dans un monde qui a, pourtant, bien besoin de lui. Les médecins de Molière sont là, au chevet des pères et mères, leurs poches bourrées de grimoires et leurs besaces de potions: marchands du temple qui vendent des « recettes » censées marcher « à coup sûr » et font miroiter la « réussite » à court terme moyennant espèces sonnantes et trébuchantes… Officines en tous genres, de soutien scolaire ou de réadaptation comportementale, qui garantissent un « redressement » rapide, oubliant que, depuis bien longtemps maintenant, on a fermé, au vu de leur inefficacité notoire, les « maisons » qui étaient faites pour ça… Spécialistes du « développement personnel » et « psychologues » de bazar qui mettent en circulation les banalités les plus éculées et badigeonnent les bons sentiments d’un vague jargon clinique… Bref, toute une cohorte d' »experts » qui ânonnent en chœur qu’il faut « être soi-même » et « faire confiance à l’autre », « intervenir au bon moment » et « savoir lâcher la bride », repérer les difficultés qui émergent et trouver le spécialiste le plus compétent, pour permettre à notre progéniture d’être « bien dans sa peau » et d’avoir « une place au soleil ». Bien évidemment, tout cela est le symptôme d’un mal être qu’il ne faut surtout pas négliger. Loin de moi aussi l’idée que tout cela est socialement inutile: cela rassure, peut apaiser des tensions, rappeler quelques vérités de bon sens et, surtout, fonctionner parfois comme placebo individuel ou collectif: qu’un stage de yoga permette de moins s’énerver contre une fille qui se scarifie ou que l’intervention d’un tiers moins impliqué affectivement constitue une aide au travail scolaire n’est guère contestable… Mais nous restons là dans une approche délibérément centrée sur la résolution individuelle de problèmes considérés comme individuels. Ainsi l’hégémonie actuelle de la psychologie dans le traitement des problèmes éducatifs, qu’ils soient familiaux ou scolaires, est-elle le signe d’une « individualisation » préoccupante de l’éducation. Chacun cherche -et on le comprend bien- une « remédiation » qui soulagera son inquiétude ou sa souffrance, qui permettra d’agir au mieux « dans l’intérêt de l’enfant ou de l’adolescent »… Mais cette individualisation est le signe d’une « dépolitisation » -au sens le plus fort et authentique du mot- de l’éducation: on pare au plus pressé chacun de son côté, car on ne voit pas de perspective commune susceptible d’offrir des objectifs à long terme, de s’inscrire dans une histoire et de la prolonger, de susciter des activités qui permettront à nos enfants de « faire ensemble » un monde meilleur. J’ai écrit « faire ensemble », car c’est bien autre chose que « vivre ensemble »: on peut « vivre ensemble » lobotomisés, sous la coupe d’un gourou charismatique, ou dans un système de contention qui annihile toute velléité de résistance; on peut « vivre ensemble » -et nous en faisons l’expérience tous les jours- en une juxtaposition d’indifférences, sans projet commun ni la moindre solidarité. Et je crains que le « sauve qui peut » éducatif qui domine aujourd’hui -chacun cherchant à résoudre ses problèmes sans s’interroger sur l’avenir de notre collectif- ne contribue à une fragmentation du lien social et ne nous prépare que des lendemains qui déchantent. C’est pourquoi je suis convaincu qu’il faut resituer tous les « conseils pour bien élever son enfant » dans une perspective plus large, dans un projet pour eux et pour notre futur, dans une visée pédagogique qui ne se limite pas à leur bien-être et à leur réussite matérielle. Trois enjeux sont, à mon sens, essentiels pour cela: l’inscription dans un collectif authentique, l’apprentissage de la pensée et la découverte progressive de la distinction essentielle entre le « croire » et le « savoir », au fondement de toute laïcité authentique.

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